Heureux Enfants à Forest-Altitude 100
Dans le cadre de nos relations intergénérationnelles avec la Résidence Augustin, M. Hubert de Thier, résident et professeur honoraire à l’Athénée royal de Bruxelles, a souhaité communiquer ses impressions à la suite de ses rencontres avec les élèves de l’école « Nos Enfants » :
Notre quartier offre aux habitants un choix remarquable d’écoles fondamentales : l’École en Couleurs, l’école communale n° 3, l’école Saint-Augustin, l’école libre Sainte-Ursule, l’école Beth Aviv, l’école Nos Enfants (liste non exhaustive).
Pourquoi opter pour l’une d’elles : la dernière citée ? Les autres ne mériteraient-elles pas une égale attention ?
Les hasards de la vie expliquent mon choix. Inopinément, je devins résident avenue Saint-Augustin — chaussée d’Alsemberg, à quelques centaines de mètres de Nos Enfants. Ma famille m’a dit : « Tu retrouveras le quartier de ton enfance… »
C’était vrai. Victimes de la crise boursière, industrielle et sociale de 1929, mes parents quittèrent leur vieux et cher Verviers — « vert et vieux » — et s’établirent à Forest au n° 10, Place de l’Altitude 100, face à l’église Saint-Augustin, des architectes Léon Guiannotte et André Watteyne, construction en béton armé : une nouveauté dans le paysage bruxellois.
Commençons la redécouverte des lieux par la visite de l’édifice : mémoire presque infaillible de ma prime enfance ! À gauche du chœur, la vision d’Augustin et de sainte Monique, sa mère. A l’Orient, l’autel de marbre, puis, debout, une Vierge à l’enfant. Embrassant l’espace intérieur, un chemin de croix aux multiples personnages (dessinés par André Watteyne, esprit mystique et généreux) dicté par les « visions » de Marie de Agreda, une religieuse espagnole du XVIIe siècle.
Descendons la rue Saint-Augustin vers la chaussée d’Alsemberg.
Tournons à droite, entre la rue Branly (la science) et l’avenue Molière (le rire), nous découvrons un vaste bâtiment un peu fatigué, un peu triste, égayé de rectangles colorés à la manière de Mondrian. C’est l’ancien Orphelinat rationaliste, tout un pan de l’histoire de la libre pensée, devenu l’école « Nos Enfants ». L’encadrement de la porte est orné de trois chérubins. A droite, une inscription fière : « un enseignement de Vie, dans la Vie, pour la Vie ». Vaste programme !
« Orphelinat rationaliste ». À l’âge de neuf ans, je lisais les mots, mais n’y comprenais goutte. Comment saisir le mot « orphelinat » quand on vit dans une famille heureuse, et, rationaliste quand on vient de dépasser « l’âge de raison » ?
Au fait ! Les grands et les petits de « Nos Enfants » envahissent régulièrement et pacifiquement ma nouvelle résidence pour des rencontres intergénérationnelles. En écoutant et questionnant les anciens sur des thèmes variés tels la vie à Forest en 40-45, la Libération, les jeux et jouets d’époque.
L’ambiance chaleureuse de la rencontre, la participation active et vraie des enfants, la qualité de l’écoute m’ont profondément ému. Ce fut le déclic. Pour en savoir plus, je voulus retourner à l’école Nos Enfants qui construit cette jeunesse heureuse. Madame Janssens, directrice, et Madame Nadia, professeure, m’ont longuement reçu et procuré les informations désirées sur les méthodes pratiquées dans l’école.
Mais quittons l’anecdote et allons aux principes pédagogiques qui favorisent l’épanouissement social et personnel de l’enfant, à savoir :
école totalement mixte. En 2018, ce n’est plus une originalité, mais une obligation légale ;
école soumise au programme officiel ;
école dont l’inspiration pédagogique est dans la ligne de DEWEY mettant l’enfant et ses activités au centre des préoccupations en partant d’une dimension pragmatique et expérimentale pour grandir dans les connaissances et en tirer les vérités. et FREINET, l’expérience encore, fondée sur l’expression libre de l’enfant et la joie d’agir personnellement ;
école où coexistent la liberté de pensée et son complément, l’esprit critique ;
école qui a abandonné tout système de punitions au profit d’entretiens éclairant la problématique de l’enfant.
L’école « Nos Enfants » est liée à la Fédération de l’Enseignement Libre Indépendant.
On me permettra quelques réflexions personnelles : Liberté, Vérité, Connaissance sont de beaux mots, mais des mots piégés aux sens fluctuants. La liberté d’expression et l’indépendance ne sont jamais totales, dépendant que nous sommes de tant de personnes et de tant d’informations. La vérité n’est jamais possédée, mais cherchée, progressivement dévoilée, non sans souffrance. La connaissance est une double naissance (co-, cum, avec) : l’objet étudié naît pour le sujet qui l’expérimente, et réciproquement.
Terminons par une citation de Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique certes non-suspect de cléricalisme, tirée de la lettre aux instituteurs (1883) : « Vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille ; parlez donc à son enfant comme vous voudriez que l’on parlât au vôtre : avec force et autorité, toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée, d’un précepte de la morale commune ; avec la plus grande réserve, dès que vous risquez d’effleurer un sentiment religieux dont vous n’êtes pas juge. ».
Lettre à lire et à relire… et à discuter.
Heureux Enfants, les enfants « élevés » des pieds sur terre à la chevelure solaire comme celle du Petit Prince, dans la curiosité, le respect et la liberté.
Hubert de Thier, printemps 2018